Héritage culturel
Cette grande histoire industrielle est avant tout une histoire d’hommes et de femmes. Les Compagnies minières puis les Houillères nationales avaient une très forte emprise sur la vie des hommes et contrôlaient de manière directe ou indirecte leur vie privée ainsi que celle de leur famille. Le rythme de vie et les temps de loisirs étaient totalement dépendants du travail à la mine. Trois siècles d’activité industrielle ont vu se développer une véritable culture minière qui, au travers d’un travail de mémoire et de pratiques bien vivantes, continue de se transmettre.
Une classe laborieuse
Le patrimoine du Bassin minier témoigne d’abord de l’apparition et de la constitution d’un modèle de classe ouvrière, de ses relations au patronat et au travail et de ses actions collectives. Dans le cadre du travail à la fosse, s’est forgée une cohésion de groupe, une identité collective qui a donné naissance à une véritable conscience de classe prenant forme dans les mouvements collectifs de revendication. Depuis « l’émeute de 4 sous » à Anzin en 1823 à la dernière grande grève de 1963, le souvenir des mouvements de grève témoigne de l’engagement d’un groupe qui a organisé sa révolte et qui s’est structuré par les syndicats (syndicat du Pas-de-Calais en 1882 et du Nord en 1883). Dans le Bassin du Nord-Pas de Calais, au même titre que dans d’autres bassins miniers français, européens et internationaux, la précocité de ces actions collectives a fait progresser la législation du travail et la situation des mineurs a parfois été très en avance comparée à d’autres métiers en France.
Aujourd’hui encore, cette mémoire du « travail à la fosse » est sensiblement enracinée dans le territoire : en témoignent les nombreuses stèles commémoratives en l’honneur de la corporation minière qui parsèment le Bassin minier. Eléments à part entière du patrimoine, ces modestes « lieux de mémoire » rappellent au quotidien l’histoire humaine liée à l’exploitation minière. Autre grand témoignage, la Maison Syndicale de Lens, reconstruite en 1922 est également le lieu de mémoire des luttes ouvrières des mineurs du Nord-Pas de Calais. L’édifice aux vastes proportions exprime la puissance ouvrière face au patronat, notamment par le fronton dont le tympan est orné d’un bas-relief glorifiant le travail du mineur.
Un creuset de populations diverses
L’immigration a accompagné l’histoire du Bassin minier du Nord- Pas de Calais durant ses trois siècles d’activité. Au fur et à mesure de leur développement, les mines du Nord- Pas de Calais deviennent un puissant aimant démographique et particulièrement après les deux conflits mondiaux. Ainsi, des hommes et des femmes de 29 nationalités différentes sont venus travailler dans le Bassin : albanais, algérien, allemand, américain, anglais, autrichien, belge, canadien, chinois, danois, espagnol, grec, hollandais, hongrois, iranien, italien, luxembourgeois, marocain, polonais, portugais, roumain, russe, serbe ou yougoslave, sénégalais, somalien, suisse, tchèque ou slovaque, tunisien, turc. Parmi les plus importantes, les immigrations polonaises, italiennes, algériennes et marocaines sont venues, par leurs traditions et leurs cultures, enrichir non seulement le Bassin minier mais, plus largement, la région du Nord-Pas de Calais.
Des loisirs encadrés par les patrons
D’abord initiées par les Compagnies, poursuivies par les Houillères, les pratiques de loisirs, désormais soutenues par les municipalités et les collectivités territoriales, constituent une des plus remarquables permanences de la culture minière.
Parmi ces pratiques, se trouvent le jardinage. Du temps de l’exploitation, le jardin apportait non seulement une valeur ajoutée à la qualité paysagère des cités mais aussi un atout en nature pour le mineur qui cultive son potager. Sévèrement contrôlé par le biais du garde de la cité – des sanctions sont même prévues pour les mineurs n’entretenant pas leur jardin -, le jardinage, considéré comme « loisir hygiénique » permettait d’occuper le temps de repos et de loisirs et d’éviter les revendications salariales. Cependant, le rapport à la terre et à la nature, perçu comme des espaces de liberté, est de tous temps très présent parmi les mineurs. C’est encore aujourd’hui une réalité parmi les anciens mineurs et les propriétaires de jardins des cités minières.
Les Compagnies puis les Houillères ont fortement encouragé la pratique de la colombophilie, en incluant dans les plans de logements des pigeonniers que les mineurs avaient pris l’habitude de construire de leurs propres mains. A partir de la seconde moitié du 19e siècle, la colombophilie est très clairement promue par l’industrie minière parmi les sports et les loisirs des ouvriers. Cette activité offrait aux mineurs adeptes de cette pratique, les coulonneux, un moyen de détente appréciable après avoir passé de nombreuses heures au fond. La plupart des pigeonniers a aujourd’hui fait peau neuve et la colombophilie demeure aujourd’hui particulièrement forte dans le Bassin minier.
Les Compagnies favorisent également le développement de l’activité sportive en construisant des stades et en dotant les équipes (par fosse) de tenues aux blasons des Compagnies. Le sport nécessite en effet des aptitudes physiques et une hygiène de vie saine appréciables pour qui veut disposer de bons ouvriers. De très nombreux clubs d’athlétisme sont ainsi créés d’où émergent des sportifs qui connaissent une carrière internationale. La boxe fait également partie des sports encouragés au même titre que le cyclisme. Quant au football, il connaît une adhésion totale et un lien très fort avec la mine. De nombreuses associations sportives actuelles du Bassin minier trouvent leur origine dans cette culture sportive d’entreprise.
La pratique musicale fut particulièrement encouragée. Dès 1860, la majorité des Compagnies possède plusieurs sociétés musicales. Ces sociétés se répartissent principalement en trois groupes : l’harmonie, la batterie-fanfare et la fanfare. Les Compagnies paient tous les frais, que ce soit les uniformes ou les instruments. Ces sociétés musicales sont de toutes les fêtes et manifestations. Ainsi, le 4 décembre de chaque année, lors de la fête de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs, les harmonies jouent de la musique et les Compagnies organisent un banquet. Cette activité ne s’est pas éteinte avec la fermeture des puits et les harmonies, fanfares et batteries-fanfares sont aujourd’hui un facteur culturel important du Bassin minier. Avec le soutien des municipalités, les sociétés musicales se renouvèlent en formant des jeunes via les écoles de musiques et en élargissant leur répertoire.